vendredi 13 janvier 2017

Travail sur les incipits : le plongeon direct !

Avant même de prendre un livre en main pour le choisir, les élève de la classe de troisième qui participe au prix ont travaillé sur les incipits des cinq romans.
Portant les simples mentions  texte 1, texte 2, etc., retapés sur deux simples feuilles en utilisant la même police et la même mise en page, les débuts des romans ont été soumis à nos lecteurs.
Deux missions : les classer par ordre de préférence et choisir dans une liste de qualificatifs les trois adjectifs traduisant le mieux les sentiments que ces courts textes leur inspirent.

Voici le document de travail, saurez-vous retrouver le titre de chaque roman ?

Prix A-Fictionados : Incipit

Texte 1

J’avais le cœur sur des montagnes russes quand j’ai osé aborder Irdiss et lui parler. C’est arrivé le jour de la visite de l’Enclave, un jour très important pour tous les élèves en année terminale d’études. Pour moi, plus encore, c’était celui où notre histoire débutait enfin…
Pour être honnête, mon histoire avec Irdiss ne datait pas de ce mercredi-là. Je l’avais remarquée dès notre premier cours en commun pendant cette année de terminale, cruciale pour nos avenirs. Elle s’était installée seule devant le murécran, attentive à chacun des mots prononcés par le prof de sciences du vivant, qui nous expliquait les bases du séquençage de l’ADN à partir d’une anim’ en 3D.
Ça peut paraître cliché, mais je n’avais encore jamais vu une fille comme elle et j’en ai eu le souffle coupé. Sa silhouette, sa démarche, la moindre de ses expressions signalaient son appartenance à un milieu très éloigné du mien. J’avais aussitôt compris que nous ne vivions pas dans les mêmes quartiers, mais j’étais déjà fou d’elle, au point que son image envahissait mes pensées, et jusqu’à mes rêves.


Texte 2

Parfois je me demande si je ne suis pas morte. Mais non, je suis vivante, et le bébé qui bouge dans mon ventre est là pour me le rappeler. Je suis vivante, et Redouane est mort. Par la fenêtre, j’aperçois le jardin de notre pavillon, avec ses géraniums, sa pelouse tondue bien ras, son parterre de rosiers fanés. Notre maison ressemble à s’y méprendre à celle de nos voisins de droite et à celle de nos voisins de gauche. Heureusement qu’il y a des numéros sur les portes pour s’y retrouver.
Je contemple cette chambre irréelle. La zone plus claire sur les murs, à l’emplacement des posters de Beyoncé qu’une adolescente que je ne reconnais plus a arrachés.
J’ai envie de sortir. Je n’ai pas le droit. Pas encore. Sauf pour pointer. Matin, midi et soir.
Je longe l’avenue des Tilleuls, je passe devant le marchand de motoculteurs, le gymnase, le magasin de bricolage, la boulangerie, le Café des sports. La gendarmerie, enfin, où je signe ma feuille de présence, matin, midi et soir, soir et matin et midi.
Après ça, je refais le chemin en sens inverse et je rentre.


Texte 3

On était comme les trois doigts de la main (de la tortue ninja) ; on était réunis dans le ventre de ma mère et on a grandi ensemble : Cali ma sœur, Rubens le chien et moi.
Souvent, on s’asseyait au bord de la rivière, épaule contre épaule, le chien au milieu. On regardait dans la même direction.
Ils sont partis chacun de leur côté et je les ai crus perdus. Sans eux, je ne ressemblais plus à grand-chose, à une tortue sans carapace. Je suis allé à leur recherche, j’ai fouillé, retourné la terre des talus, sifflé à l’entrée des terriers, questionné les passants, truandé les portillons automatiques du métro et traversé des halls de bâtiments glacés ; j’ai vaincu ma peur et ma maladresse. Je me suis fait mal. Parfois, on progresse mais on n’arrive à rien et nous voici de nouveau assis au bord de l’eau, mais on n’est plus que deux.
Épaule contre épaule, chacun regarde maintenant dans une direction différente. D’aucuns disent que c’est le destin et la fatalité. Je ne sais pas ce que c’est. Je reste silencieux et malgré l’été, j’ai un bonnet de ski vert et orange sur la tête. Je crois que c’est juste la vie, c’est n’importe quoi, un nuage qui passe, qu’il faut « laisser faire et c’est très bien ».


Texte 4

Parce que leur histoire ne s’était pas achevée, au bon endroit, au bon moment, parce qu’ils avaient contrarié leurs sentiments, il était écrit, me semble-t-il, qu’Eugène et Tatiana se retrouvent dix ans plus tard, sous terre, dans le Meteor, ligne 14 (violet clair), un matin d’hiver.
Il était neuf heures moins le quart. Eugène, imaginez, portait un pantalon de velours noir, une chemise Oxford à carreaux bleu pâle, col sage ; une veste anthracite en tweed, une écharpe grise, probablement cachemire, effrangée aux extrémités, enroulée une fois, deux fois, autour de son cou – et par-dessus, un visage qui s’était apaisé, depuis la dernière fois ; un visage dont les traits, depuis la dernière fois, avaient un peu desserré leur écriture. Il avait l’air moins dur, et plus patient. Plus élastique, plus tendre. Un visage rincé de son adolescence ; celui d’un jeune homme qui a pris son mal en patience, celui d’un jeune homme qui a appris à attendre.
Tatiana, figurez-vous, avait repensé à lui la veille au soir, ce qui aurait pu être une étonnante coïncidence, sauf qu’elle pensait à lui souvent – et je suis sûre que parmi vous, il y en a qui pensent, parfois, à des amours gâchées il y a deux, trois ou dix ans. Ce n’est pas pire après dix ans, ça n’augmente pas nécessairement avec le temps, ce n’est pas un investissement, le regret. Il n’y a pas toujours de quoi en faire toute une histoire. Mais pour ces deux-là, vous m’excuserez de faire une exception. Regardez comme ils chancellent de se revoir. Regardez un peu leur regards...


Texte 5

Il me regardait d’un air désolé. Mais il avait toujours l’air désolé, alors ça ne voulait pas dire grand-chose.
- Ils ont décidé de t’exclure pendant une semaine, a dit mon père.
De l’autre côté du mur, dans une salle de ce grand bâtiment profilé comme un paquebot, aux centaines de fenêtres allumées pour lutter contre le ciel gris, « ils » s’étaient réunis, « ils » avaient décidé de m’exclure. De me jeter par-dessus bord. Autour de moi, la vie pourtant continuait, comme à son habitude, dans le bruit de la circulation, et le mouvement incessant des voitures et des piétons. Immobile, j’ai attendu la suite, les mains dans les poches, serrant fort mes pouces à l’intérieur de mes paumes, me cramponnant à moi-même, respirant un air soudain devenu amer…
- Ta mère dit qu’elle ne peut pas te garder chez elle. Qu’avec son boulot, elle ne pourrait pas te surveiller. Elle dit qu’elle a peur que tu fasses des conneries. Tu vas devoir rester quelques temps avec moi. Entre nous, je crois qu’elle en a un peu marre. Robin ? Tu m’écoutes ?

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